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Théodore Gouvy
sonates à quatre mains
Le catalogue discographique des œuvres du Lorrain Théodore Gouvy (1819-1898) s’élargit de plus en plus – on s’en réjouit ! Après la récente parution du Quintette à deux violoncelles n°6 en première mondiale (K.617), celles de l’oratorio Œdipe à Colonne Op.75 (CPO), des Mélodies Op.41, Op.42, Op.44, Op.47 et Op.48 sur des poèmes de la Renaissance, enfin des Sérénades pour flûte et cordes Op.82 et Op.84 (Toccata Classics), saluons cet enregistrement des trois Sonates pour piano à quatre mains.
Ayant approché la musique par le piano, puis le violon, avant de se destiner à la composition, Gouvy est bien de son siècle en écrivant régulièrement pour le grand crocodile de concert (si l’on nous autorise ce souriant anachronisme). Ainsi quelques vingt Sérénades jalonnent-elles les deux premiers tiers de son parcours de créateur (de 1855 à 1874), après les Deux études qui constituent son tout premier opus, mais encore la Sonate en sol majeur Op.17 n°1 (1854) et la Sonate en la majeur Op.29 n°2 (1861), parmi bien d’autres pages. Il se trouve qu’outre écrire pour deux pianos – Lilli Bulléro, variations sur un air anglais Op.62 (1876), Sonate en ré mineur Op.66 (1876) [lire notre chronique du 10 juin 2013], Marche en mi bémol majeur Op.63 (1878), Divertissement en ut mineur Op.78 (1878), Fantaisie en sol mineur Op.69 (1882), etc. – et d’adapter certaines de ses pièces d’orchestre pour piano à quatre mains, Gouvy composa volontiers pour ce couple quasi-siamois. Ainsi des Six morceaux Op.59 (1860), des Variations sur un air français Op.57 (1870), de Thème et Variations Op.52 (1871), Scherzo et Aubade Op.77 (1882), Ghiribizzi Op.83 (1890), etc.
Trois importantes sonates à quatre mains occupent une place de choix dans la décennie de la maturité (les années 1860), conclue en 1868 par la disparition de sa mère, événement qui décida de son installation définitive dans la maison familiale d’Hombourg-Haut, avec son frère Alexandre [lire notre critique du livre-disque publié par le Palazzetto Bru Zane aux Ediciones Singulares]. Émile Naoumoff et Yau Cheng en livrent chez Grand Piano une version avantageusement contrastée. La tourmente tend d’emblée le grand Allegro moderato de la Sonate en ré mineur Op.36 n°1 de 1861, et précipite l’écoute dans un romantisme dru qui marie l’esprit de fantaisie (Schumann) au Lied (Schubert) et à la virtuosité (Chopin et Liszt), tant dans la facture compositionnelle que dans l’exigence technique. D’abord méditation un rien alanguie, non loin de quelque souvenir d’une romance française, inspirée d’une fantaisie mozartienne, l’Adagio convoque bientôt des motifs ornementaux qui rappellent directement Chopin, conduisant à une sorte d’oiseuse mélancolie. Après Mozart, Beethoven et Schubert apparaissent clairement dans l’Intermezzo vigoureux et chantant auquel s’enchaîne directement un Épilogue gracieusement emphatique (Moderato assai quasi larghetto), ici fort lyriquement articulé.
En 1869, Gouvy a rompu avec sa vie errante, entre Paris, principalement, et Bologne, Dresde, Leipzig, Rome, etc. Le ton de l’Allegro moderato par lequel s’ouvre la Sonate en ut mineur Op.49 n°2 affiche une gravité qu’un développement plus rythmique ne saura destituer. Certes, un enthousiasme certain gagne le mouvement, puis une barcarolle plus paisible, mais le paysage demeure triste, indéniablement, achevant ces mois du deuil maternel. La touffeur un rien nauséeuse du Larghetto lorgne assurément vers des miasmes post-schubertiens, peu à peu gagnés par une expressivité brièvement plus active, comme un soubresaut d’énergie dans la souffrance auto-contemplative. Le retour à la dolence initiale se conclut sur une courte transition harmonique vers le Menuet, regain plus durable de robustesse, au thème un rien opératique en ses atours rhapsodes (Gounod, peut-être). Les interprètes donnent au Trio central un jour heureux de danse fluide, avant la reprise plus marquée de la première figure. Le Finale (Allegro vivace) surprend par diverses péripéties théâtrales, entre cabalette de chœur et ouverture de ballet.
L’année suivante, Gouvy compose la Sonate en fa majeur Op.51 n°3 dans un climat nettement différent : cette fois, il cultive un élan de Lied sans parole à une gouaille plus populaire, en avance sur son temps. Après l’Allegro con brio où l’on sent la retenue des pianistes, ce corpus plus réduit (et qui, lui, compte trois mouvements) se poursuit dans un Andante scherzoso plutôt énigmatique avec son petit trot intrigant, rendu plus mystérieux encore par la fausse simplicité du jeu d’Émile Naoumoff et Yau Cheng – ils s’échangent d’ailleurs les parties, au fil du disque. L’accentuation de l’Allegro risoluto donne un lustre gaillard à l’incisif wanderer final, tenu avec une conviction qui ne démord pas, transmettant le plaisir de jouer cette musique trop longtemps oubliée. On en redemande !
BB